Si Narcisse vivait en 2024, il serait sûrement accro à Instagram.
Lors de mes vacances, alors que je prends tranquillement l’air sur le balcon de mon hôtel en rentrant de la plage, je vois, dans l’immeuble d’en face, une jeune fille d’une vingtaine d’année, en train de faire des selfies. La bouche en cul de poule, cheveux brushingués dans le vent, plastique parfaite, elle semble habillée pour sortir, c’est une très jolie jeune femme, selon les standards de beauté actuelle.
Elle parle ensuite à son téléphone, toujours en position de selfie, elle passe la main dans ses cheveux, prend des poses suggestives. Je comprends alors qu’elle se filme, elle s’arrête, regarde son téléphone, puis recommence. Bref, cela dure bien 10 bonnes minutes. Tik tok ? Instagram ? Peu importe.
J’ai l’impression d’être un reporter animalier dans une jungle numérique.
Clairement, je suis traversée par 1001 questions. Pourquoi ? Qu’est-ce que cela lui apporte ?
Vraiment, j’aimerai comprendre l’intérêt de la manoeuve, car je crois fondamentalement que l’être humain ne fait rien par hasard, il est beaucoup trop complexe pour cela.
Je ne suis pas contre l’idée d’une réparation narcissique à travers les réseaux sociaux, en revanche, je me pose clairement la question du « tout réseau », « tout rendre compte », « tout montrer ».
La personne affichée sur les réseaux n’est pas réelle, personne ne poste une photo de soi au réveil, les cheveux en l’air, en pyjama. L’image postée est parfaitement maitrisée, voir sublimée par des filtres notamment. Il y a donc une mise en scène. C’est un jeu d’acteur, dans sa propre vie. Une mise en scène d’une vie parfaite : les vacances de rêve, la nouvelle voiture, le nouveau sac à main, le bulletin de note de l’enfant prodige, bref, tout ce qui peut montrer une image gratifiante de soi, de sa réussite, etc…
Et pourtant, nous le savons TOUS, une vie parfaite n’existe pas. Même le plus riche, la plus belle, le plus célèbre, est malheureux par moment, a des jours DOWN où sa tête ne lui revient pas, est traversé par une angoisse etc… tout simplement car nous sommes des êtres HUMAINS parfaitement imparfaits.
« Les selfies que nous postons sur notre profil nous rassurent car ils nous donnent l’impression de maîtriser notre image, explique la philosophe et psychanalyste Elsa Godart, auteur de Je selfie donc je suis (Albin Michel). Pour les plus jeunes, ils constituent même une tentative de réponse au trouble de la représentation de soi. Confrontés à la difficulté d’affirmer leur singularité, ils participent à rassembler un sujet qui se perçoit comme morcelé. Mais ils risquent aussi, ce faisant, de rendre le moi encore plus abstrait. »
Et c’est bien là le soucis ! Car entre l’image de soi postée et retouchée, parfaite, et l’image réelle, le matin, au réveil, le fossé peut être grand, très grand… cette image idéalisée en devient tyrannique, c’est celle là qu’il faut atteindre, et être, à temps complet ! Mais vous l’aurez compris… elle n’existe pas ! Pas plus que la vie parfaite affichée sur les réseaux.
Alors voilà, l’enjeu est là, ETRE EN CONSCIENCE, que tout cela n’est pas réel, que c’est un jeu, un bal masqué grandeur nature, et non la réalité. Et apprendre à s’aimer, avec ses qualités et ses défauts, c’est ça l’objectif d’un travail psychanalytique (entre autre), et non celui de devenir parfait.